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Clara - Le cri

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Depuis le début du confinement, Clara tournait en rond dans son appartement. Comme son métier consistait à recevoir des clients dans une agence de location de voitures désormais fermée, elle ne pouvait pas faire de télé travail et se retrouvait donc en chômage technique. C’était un moindre mal bien entendu quand on voyait tout ce qui se passait et le nombre de personnes hospitalisées voir pire. Et elle était payée, avec une minoration certes, mais comme elle ne pouvait rien dépenser de toute façon, ça n’était pas trop un problème.

 

Au début, elle sortait deux fois par jour, allait faire de grands tours assez loin et cela occupait une bonne partie de sa journée. Avec son attestation en poche, dûment remplie et signée avec la date du jour, elle ne risquait rien et elle était sereine car elle pouvait faire de l’exercice tout en respectant les consignes de sécurité et en participant aux mesures d’éradication du virus.

 

Mais voilà, depuis hier, de nouvelles restrictions étaient apparues et il n’était désormais possible de sortir que une fois par jour, une heure maximum et pas à plus d’un kilomètre de son domicile, cela l’avait totalement déprimée. Finies les grandes balades qui lui faisaient du bien, finies les sensations de liberté dès qu’elle sortait de son immeuble. Elle pouvait encore sortir certes, mais dans ces conditions, cela ne l’intéressait plus et elle se retrouvait cloîtrée chez elle a se morfondre et à rêver de grands espaces.

 

Heureusement, il y avait son petit balcon, enfin sa loggia, elle n’y allait pas trop en temps normal, mais là, cet espace réduit, couvert tout en étant dehors, était devenu un refuge. Il ne faisait pas très chaud, le vent soufflait dans les hauteurs de l’immeuble, il fallait qu’elle se couvre ; heureusement, elle avait trouvé un petit coin à l’abri du vent. Elle y passait des heures, assise sur une chaise de bureau, pas de place pour mettre un transat. En inclinant bien le dossier et avec un petit pouf pour reposer ses pieds, c’était relativement confortable.

 

Dans son placard de chambre, elle avait trouvé un livre jamais lu qu’elle avait oublié, c’était un roman policier d’un illustre inconnu, du genre qu’on peut trouver en livre de poche dans les boutiques de gares. Elle s’était forcée au début pour entrer dans l’histoire, le style ne lui plaisait pas trop, mais au fur et a mesure de sa progression, elle commençait à le trouver intéressant et c’était devenu un plaisir de se plonger dans sa lecture.

 

Elle ne faisait pas que lire bien entendu, de temps à autre elle fermait le livre et regardait autour d’elle. Bien cachée dans son petit recoin, elle pouvait observer les allées et venues en bas, dans la rue, aussi sur les balcons en vis à vis. Elle ne courrait pas le risque d’être aperçue des gens qui de toute façon, étaient peu nombreux et vaquaient à leurs occupations, sans lever la tête ni prendre le temps de regarder en face d’eux.

 

Ces observations l’avaient amenée à s’intéresser plus à certains appartements ; beaucoup étaient soit vides, soit avec des rideaux tellement épais que rien ne filtrait. Il était cependant possible d’apercevoir des silhouettes à l’intérieur qui, de temps à autre, se concrétisaient sur les balcons, pour fumer, prendre l’air ou faire une courte pause sur un transat. Ils en avaient de la chance ceux-là, de pouvoir mettre un transat sur leur balcon plus grand que le sien.

 

Quand elle faisait une pause dans sa lecture, son regard se portait invariablement sur ces quelques appartements ou balcons, ignorant le reste de l’environnement. C’était devenu comme un aimant, impossible de regarder ailleurs, elle était attirée et passait de l’un à l’autre en tournant la tête de tous côtés ; ils se trouvaient en effet de part et d’autre de son champ de vision. Et puis, quand elle commençait à avoir mal à la nuque et que rien ne se passait au bout d’un moment, elle replongeait dans sa lecture jusqu’à la prochaine pause.

 

Un jour qu’elle venait de terminer une séance d’observation et recommençait a lire, elle entendit un cri, bref, mais assez intense. Comme elle regardait partout et ne voyait aucune agitation, aucun signe que quelqu’un d’autre l’ait également entendu, elle crut qu’elle l’avait imaginé. Elle allait se replonger dans son livre quand elle se dit que, non, définitivement, elle n’avait pas rêvé et avait bel et bien entendu un cri.

 

Etait-ce bien réel ? D’où provenait-il ? Qu’est ce qui avait bien pu se passer ? Toutes ces questions, Clara n’arrêtait pas de se les poser et cela tournait en boucle dans sa tête. Que pouvait-elle faire ? Prévenir le gardien au risque de se faire rire au nez, de se faire entendre dire qu’elle avait rêvé puisque, visiblement, personne d’autre ne l’avait entendu car sinon, bien sûr, elle en aurait entendu parler forcément, il y aurait eu de l’agitation. Mais rien, le quartier était toujours aussi calme.

 

Elle s’était donc replongée dans ses habitudes et, au bout de plusieurs jours, elle avait fini par oublier l’incident quand cela recommença : le même cri, à peu près a la même heure et provenant du même endroit ! Et la encore, rien, aucune réaction, personne à sa fenêtre ou sur son balcon pour chercher, comprendre, se demander ce qui se passait.

 

Alors là, c’en était trop, elle n’était pas folle tout de même ! Elle avait bel et bien entendu un cri et, elle en était certaine, elle avait entendu le même quelques jours auparavant, aucun doute possible. Fort de cette constatation, elle décida de tirer cela au clair.

 

Comment déterminer l’origine de ces cris ? Car, elle en était certaine, cela allait recommencer, il était totalement inconcevable pour elle que ces deux cris ne soient pas suivis d’autres dans les prochains jours. Elle n’eut pas à réfléchir longtemps pour se rendre compte qu’il n’y avait qu’une solution, la plus simple et la plus efficace probablement : elle allait guetter.

 

Oui, mais guetter quoi ? Guetter, aux alentours de l’heure ou elle avait entendu les cris précédemment, les appartements et balcons situés vers l’endroit d’où cela lui semblait venir. Oui mais voilà, cela couvrait tout de même un nombre non négligeable de possibilités. Pas facile de situer précisément l’origine d’un bruit, surtout avec l’écho qui se répercutait sur les murs des immeubles. Et en plus, cela ne correspondait pas aux endroits qu’elle avait pris l’habitude d’observer depuis son balcon.

 

Mais c’était sa seule solution pour parvenir à élucider ce mystère qui lui occupait maintenant tout l’esprit. Plus question de lire, ses pensées l’en empêchaient. Même lorsque cela n’était pas l’heure du cri et qu’elle aurait pu tranquillement se détendre et se replonger dans son livre, elle n’y arrivait pas, impossible de trouver la paix.

 

Elle dénicha une paire de jumelles qu’elle avait achetée un jour dans un marché aux puces et se mit à guetter à l’heure dite et en direction de là où, elle le pensait, les cris avaient pu provenir.  Le premier jour, rien, aucun cri ne se fit entendre et elle en fut pour sa peine. Bon se dit-elle, les cris n’étaient pas tous les jours non plus, il y a eu plusieurs jours entre chaque, il faut que je m’arme de patience.

 

Deux puis trois jours passèrent sans rien de nouveau. Clara commençait à désespérer. Cela ne pouvait pas se terminer de cette manière, il était impossible qu’il n’y ait plus de cris et qu’elle reste frustrée, à ne jamais savoir. Le quatrième jour, elle l’entendit de nouveau ; oui, c’était bien lui, c’était bien le même cri qu’elle avait entendu à deux reprises. Elle n’avait pas pu localiser précisément sa provenance car elle balayait lentement toute la zone avec ses jumelles.

 

Tout de même, elle réussit à se faire une idée assez précise de la zone d’où il avait bien être porté. Sa notion du assez précise couvrait cependant une dizaine d’appartements donc, oui elle avait avancé mais non, cela n’était pas suffisant pour en connaître de manière certaine la provenance.

 

En balayant la zone, elle ne vit rien de particulier si ce n’est un homme sur son balcon et une femme qui fumait depuis sa fenêtre. Comme d’habitude, eux ne donnaient aucun signe montrant qu’ils avaient également entendu ce cri, elle allait devoir guetter de nouveau.

 

Le sixième jour, alors qu’elle se concentrait sur le secteur en question, le cri retentit de nouveau. Vite, elle regarda en direction de la femme qui fumait encore comme, elle l’avait remarqué, elle le faisait très souvent à intervalles réguliers. Elle dirigea ses jumelles vers l’autre balcon, celui ou elle avait aperçu l’homme, il était là, immobile.

 

Il lui sembla toutefois que l’homme venait de terminer un geste qu’elle avait reconnu, un geste qui ne trompe pas. On aurait dit qu’il venait juste d’avoir regardé quelque part et qu’il avait tourné la tête rapidement pour regarder maintenant devant lui. C’était un geste banal pourtant mais, étrangement, elle fut quelque peu perturbée par la vitesse à laquelle il avait bougé la tête, cela ne lui paraissait pas naturel.

 

Elle poursuivit sa surveillance le lendemain mais cette fois, elle ne regarda plus que vers le balcon de l’homme. Rien ne justifiait à priori qu’elle n’observe que lui mais elle était intriguée et avait envie de vérifier ce qu’il pouvait bien observer. Tant pis pour le cri s’il ne venait pas de la, tant pis si elle n’arrivait pas à en déterminer l’origine. Maintenant, sa  curiosité vis-à-vis de cet homme l’emportait sur sa quête du cri comme elle se plaisait à l’appeler.

 

Elle ne le vit pas sur son balcon peu avant à l’heure dite. Non, pas sur le balcon, mais en affinant le réglage de ses jumelles, elle put l’apercevoir derrière la porte fenêtre. Cela n’était pas très net mais oui, c’était bien lui qui se tenait là.

 

Elle se sentit profondément gênée d’espionner cet homme, chez lui, dans son intimité. Certes il ne savait pas qu’elle le regardait et il n’y avait pas de mal à se faire du bien aux yeux comme aurait pu dire une de ses copines car il était bel homme. Mais tout de même, elle rougit de ce qu’elle était en train de faire et elle se sentit brusquement dans la peau d’une voyeuse.

 

Elle allait arrêter de le regarder et ranger ses jumelles quand l’homme sortit sur son balcon et, se trouant vers elle, poussa un cri. Pas de doute, c’était bien le cri qu’elle traquait depuis quasiment deux semaines et il provenait de lui, de cet homme qui poussait ce cri à la façon de Tarzan en se tapant les mains sur la poitrine, au vu de tout le monde, sur son balcon. Cela déclencha chez elle un fou rire, elle le trouva ridicule et se dit qu’elle avait été bien bête d’avoir passé tant de temps en observation pour un homme qui se prenait pour Tarzan.

 

Mais ce qui était frappant, c’est que l’homme regardait vers elle fixement. Cela n’était donc pas qu’une impression l’autre jour quand elle avait cru voir qu’il venait de tourner la tête, il l’avait bel et bien regardée avant de regarder à nouveau devant lui.

 

Vite, elle se réfugia à l’intérieur mais c’était trop tard, elle était certaine qu’il l’avait vue, même cachée dans le petit recoin du balcon. D’ailleurs il l’avait sûrement vue aussi la dernière fois et probablement d’autres fois encore ; elle le sentait maintenant, cet homme l’avait repérée. Depuis quand, depuis le premier jour où elle s’était installée sur le balcon ? Plus tard ? Avait-il poussé ces cris pour attirer son attention ? Les questions se bousculaient dans sa tête.

 

Qu’allait-il se passer maintenant ? Qu’allait-elle faire ? Devait-elle avoir peur ? Ou bien au contraire cet homme cherchait-il tout simplement à établir un contact amical ? Elle en était là de ses réflexions quand la sonnette de son appartement se mit à retentir.

A suivre …