Clara sursauta en entendant la sonnette de son appartement. Elle était encore en plein dans ses réflexions à propos de l’homme qu’elle venait de voir, elle ne s’attendait absolument pas à entendre la sonnette.
Qui cela pouvait-il bien être ? En plein confinement ? Elle n’attendait aucune visite, aucune livraison non plus et de toute façon, les livreurs ne montaient plus dans les étages, ils se contentaient de déposer les colis dans le hall d’entrée afin d’éviter tout contact.
Et ça n’était pas la sonnette de la porte du bas de l’immeuble, non, c’était bien celle de sa porte d’entrée à elle. Cela pouvait-il être l’homme ? Avait-elle été si longtemps plongée dans ses pensées qu’il avait eu le temps de venir ? Mais dans ce cas, comment aurait-il pu entrer dans l’immeuble ? Certes il pouvait avoir deviné quel était son appartement au vu de la position des fenêtres mais encore fallait-il qu’il puisse entrer.
Elle allait demander à travers la porte quand une voix se fit entendre de l’autre côté.
– Bonjour Madame, ne vous inquiétez pas, c’est le gardien de votre immeuble. N’ouvrez pas, je veux juste savoir si tout va bien.
Clara soupira en apprenant qu’il ne s’agissait que du gardien. Cela lui paru cependant étrange qu’il sonne pour demander si tout allait bien car, depuis son arrivée relativement récente, elle avait eu très peu de contacts avec qui que ce soit.
– Bonjour, répondit-elle. Oui, ça va, je vous remercie. Mais comment se fait-il que vous veniez me poser cette question ? Il se passe quelque chose ?
– Non, dit le gardien. Rien de particulier mais je me suis dit que ce serait peut-être bien que je fasse le tour des gens seuls. Je ne vous vois plus sortir comme avant depuis quelque temps donc je me demandais si tout allait bien. C’est en quelque sorte ma contribution solidarité en cette période où on en a bien besoin.
– D’accord, c’est gentil de votre part. Je vous remercie et je ne sors plus beaucoup c’est vrai, mais j’ai mon balcon pour prendre l’air et j’essaye de faire un peu d’exercice aussi.
– Très bien, je vous laisse et je continue ma tournée des personnes seules. Je repasserai tous les deux jours je pense sauf si cela vous contrarie.
– Non, c’est parfait, ça rassure de savoir que quelqu’un se soucie des autres.
Une fois le gardien parti, Clara se sentit soulagée. Cela n’était pas l’homme qui l’avait regardée qui était venu sonner chez elle ; elle aurait été bien gênée si cela avait été le cas. Pas sur qu’elle aurait ouvert ou même interrogé à travers la porte si le gardien n’avait pas pris les devants en appelant.
Elle n’était pas habituée à ce qu’on s’intéresse à elle et le geste du gardien l’avait surprise. Mais après tout, cette période était inhabituelle alors les gens pouvaient bien eux aussi avoir des attitudes inhabituelles. Quoique, en y réfléchissant, ca n’était pas si inhabituel que cela de contacter les occupants d’un immeuble de la part d’un gardien. Une méchante pensée lui traversa l’esprit en se disant qu’il soignait ses futures étrennes mais elle la chassa vite de son esprit.
Le lendemain, elle n’osa pas se montrer sur le balcon de peur que l’homme puisse l’apercevoir. Elle n’entendit pas non plus de cri. Qu’allait-elle faire ? Rester enfermée pendant des jours ? Elle ne tiendrait pas longtemps sans prendre l’air et se poser pour lire à son endroit habituel.
Deux jours après, elle était encore en train d’hésiter sur la conduite à tenir quand la sonnette la fit sursauter à nouveau. Vu l’heure, elle se dit que ce devait être le gardien qui, comme il l’avait indiqué, refaisait son tour. Et dans les secondes qui suivirent, elle l’entendit effectivement appeler comme l’avant-veille.
Après un échange rapide au cours duquel Clara confirma que tout allait bien, elle eut brusquement envie de l’interroger, il lui paraissait digne de confiance même si cela ne faisait que deux fois qu’elle échangeait avec lui.
– S’il vous plaît, cria-t-elle à travers la porte afin qu’il l’entende au cas où il serait en train de repartir.
– Oui, qu’y a-t-il ?
– Je voulais vous demander quelque chose, c’est un peu spécial mais bon, comme je m’interroge beaucoup, ce serait bien que vous puissiez me renseigner car vous devez connaître assez bien les gens de la résidence.
– Vous m’intriguez mais, oui, je pense connaître un grand nombre de personnes et pas uniquement de cet immeuble. Que voulez-vous savoir ?
– Et bien voilà, vous allez trouver ma question étrange mais par hasard, connaissez-vous un homme qui se met à son balcon et pousse un cri en faisant Tarzan ? Je suis intriguée car personne ne semble le remarquer et j’ai vu qu’il avait regardé dans ma direction l’autre jour, dois-je m’inquiéter ?
Après quelques minutes de réflexion, sans doute afin de bien comprendre de quoi elle parlait et situer la personne, il répondit :
– Cet homme là ! Oui, je vois très bien de qui vous voulez parler. On voit que vous n’êtes pas ici depuis longtemps, tout le monde le connaît, c’est pour cela qu’on ne réagit plus. C’est un original mais il n’est pas méchant, ne vous inquiétez pas, à bientôt.
Clara se sentit soulagée, des gens originaux il y en avait forcément dans une résidence de cette taille et si le gardien lui avait dit de ne pas s’inquiéter alors elle allait suivre son conseil, elle reprendrait ses habitudes sur son balcon dès le lendemain.
C’est ce qu’elle fit, cette fois sans aucune appréhension. Elle se forçait à ne pas trop regarder dans la direction de l’homme au cri et surtout pas à l’heure ou celui-ci sortait et accomplissait son rituel. Ce qui fait qu’elle ne savait pas s’il continuait à la regarder ou non.
Un matin en se levant, elle eut la surprise de découvrir un papier qui avait été glissé sous sa porte. Tout d’abord, elle n’osa pas le prendre, qui sait s’il était contaminé ! On entendait un peu tout et n’importe quoi sur la durée de vie du virus sur les surfaces. Elle n’avait pas spécialement peur mais bon, autant être prudente.
Elle décida donc de laisser le papier où il était pendant quelques heures, elle le regarderait avant le repas ; de toute façon, cela ne devait pas être quelque chose d’urgent. La matinée se passa lentement, intriguée qu’elle était par ce petit bout de papier. Elle lut comme d’habitude mais cela ne suffit pas à lui enlever de l’esprit. Alors elle alluma la télé mais là non plus, aucune émission intéressante ne lui permit de se distraire.
Finalement, en fin de matinée, elle se décida à le regarder. Elle se laverait les mains après, voilà tout, il fallait arrêter les psychoses avec la contamination sur les surfaces. Elle déplia le papier sur lequel était inscrit un numéro suivi de « message WA ». Elle comprit rapidement que le numéro correspondait à un numéro de téléphone puisqu’il commençait par 06 et comportait 10 chiffres. Quant à WA, elle se ne voyait à priori pas de quoi il pouvait bien s’agir.
Elle réfléchissait mais ne trouvait pas. Et puis d’ailleurs c’était quoi ce papier, ou plutôt qu’est-ce que cela signifiait et qui l’avait glissé sous sa porte ? Probablement pas le gardien, elle ne voyait pas pourquoi, s’il avait quelque chose à lui dire, il le ferait à travers la porte puisqu’ils avaient déjà discuté ensemble.
Elle pouvait appeler ce numéro bien sur, afin de savoir à qui il appartenait et pourquoi on lui avait communiqué. Mais elle n’osait pas, pas avant de savoir ce que signifiait ce sigle WA. Après tout il était écrit avec le mot « message » donc cela devait signifier qu’un message d’un certain genre était attendu, oui mais lequel ?
A force de réfléchir, elle n’arrivait plus à rien et finit par renoncer. Je vais me changer les idées avec une bonne séance de lecture sur le balcon et on verra si j’aurai les idées plus claires ensuite. C’est en lisant un passage de son livre que l’idée lui vint : pourquoi n’avait-elle pas pensé plus tôt à chercher sur Internet ? Les idées les plus simples sont des fois celles qui ont le plus de mal à se concrétiser, surtout à force de cogiter sur un sujet, cela ne coûte rien d’essayer et avec un peu de chance, il y aura un résultat.
Le moteur de recherche ne tourna pas longtemps avant de lui fournir la solution. WA était l’abréviation d’une application de messagerie dont elle avait entendu parler, des copines à elle l’utilisaient, mais qu’elle n’avait jamais installée sur son téléphone. Cela voulait donc dire que la personne à qui appartenait ce numéro voulait communiquer par messages via cette application.
Après tout, cela lui convenait parfaitement. Une communication directe avec quelqu’un d’inconnu n’était pas toujours simple, surtout dans ces circonstances. Elle se voyait mal dire « Allo, vous m’avez laissé votre numéro de téléphone, pouvez-vous me dire qui vous êtes et ce que vous voulez ? ». Cela lui paraissait tout de même moins direct et surtout moins intrusif de correspondre par message.
Se prenant au jeu, elle installa donc l’application, s’inscrivit en renseignant son numéro de téléphone et découvrit une liste de contacts parmi les siens qui disposaient également de l’application, dont ses copines, mais le numéro du papier n’y figurait pas. Comment faire pour l’ajouter et pouvoir envoyer des messages ?
En cherchant un peu, elle comprit qu’il fallait créer un nouveau contact et que celui-ci s’ajouterait à la liste, si tant est que la personne ait également installé la même application. C’était forcément le cas sinon, pourquoi avoir précisé « message WA » ? Effectivement, le numéro apparut dans la liste.
Clara était maintenant au pied du mur. Cela l’avait amusée de faire des recherches, d’installer l’application puis de créer le contact, mais voilà, terminées les opérations techniques préliminaires qui occupaient l’esprit et empêchaient de penser, elle devait à présent décider quoi faire : poursuivre ce qu’elle avait commencé, c’est à dire, faire en sorte de donner suite ou au contraire laisser tomber de crainte de ce qu’elle allait découvrir ?
Elle n’hésita toutefois pas trop longtemps et emportée par la curiosité, elle saisit un message à destination du contact qu’elle avait appelé « inconnu » de manière très peu originale certes, mais bon, pas d’autre idée. Son message était des plus simples, elle avait juste envoyé « Bonjour ».
L’application disposait d’une fonctionnalité qui permettait de voir quand un message était réceptionné puis lu ; elle n’eut pas à attendre longtemps avant de voir ces indications s’afficher successivement. Elle avait osé, elle avait répondu à la sollicitation et la personne de l’autre côté en était informée, son cœur s’accéléra.
Afin de se calmer, Clara reposa son téléphone après l’avoir mis en silencieux, comme si cette opération pouvait empêcher la suite des événements, comme si elle pouvait empêcher de recevoir une réponse. Elle le regardait comme une bombe sur le point d’exploser.
Le téléphone se mit en veille puis se ralluma presque aussitôt en affichant une notification : le chiffre un était affiché en rouge sur l’icône de l’application. Cela ne signifiait qu’une chose : il ou elle avait répondu.
A suivre …