Un contact avait été établi, plus possible de reculer. Enfin si, elle pouvait toujours ne pas regarder le message, ne pas répondre et désinstaller l’application. Mais dans ce cas, pourquoi avait-elle envoyé ce premier message de bonjour, pourquoi avoir suivi son envie de prendre contact avec ce numéro arrivé sous sa porte.
Ce serait bête d’abandonner, jamais elle ne saurait de qui il s’agissait, jamais elle ne saurait quelles étaient les intentions de la personne qui l’avait contactée de manière aussi inhabituelle. Et puis, c’était sans compter le fait que maintenant, il / elle connaissait son numéro qui s’était affiché avec son message.
Allez, un peu de courage ma belle, s’entendit-elle dire. Elle allait regarder le message reçu quand elle s’interrompit d’un coup. Et si c’était cet homme qu’elle avait vu faire Tarzan sur son balcon ? Cet homme que, visiblement tout le monde qualifiait d’original. Certes, il était facile de passer pour un original aux yeux de la majorité des gens pour peu qu’on fasse quelque chose qui n’entre pas dans les coutumes, dans l’ordre établi. Mais tout de même, cela ne la rassurait pas, même si le gardien lui avait précisé qu’il n’était pas méchant.
Oui, certainement, cela ne pouvait être que lui, il l’avait vue le regarder, il avait bien repéré la position de son appartement. De plus, il pouvait très bien être entré dans son immeuble derrière quelqu’un puis avoir glissé ce mot sous sa porte avec son numéro de téléphone. Sinon, qui d’autre ? Elle ne connaissait encore personne dans la résidence, comme elle n’y était pas installée depuis très longtemps.
Que faire ? Quel risque est-ce que je prends à regarder son message ? Cet homme n’est visiblement pas un inconnu et s’il avait créé des problèmes, cela se saurait. A elle de garder ses distances pour ne pas se laisser envahir, ce qui pouvait fort bien être le cas avec ce type de personnes qui cherchaient les contacts.
Ayant retrouvé son courage, elle regarda le message qui indiquait tout simplement « Bonjour ». Et bien tout ça pour ça ! Elle avait réfléchi, hésité pour un simple message de bonjour ! Elle sourit pour elle-même. D’accord, c’était une réponse presque normale de répondre à un bonjour par un autre bonjour mais cela ne faisait pas avancer les choses.
La balle était dans son camp, c’était à elle d’écrire le prochain message ; elle se résolut à être directe et déterminée. Elle se dit que, du coup, cet homme Tarzan verrait qu’elle savait ce qu’elle voulait et qu’elle ne se laisserait pas faire s’il devenait trop envahissant.
Elle écrivit donc le message suivant : « Je sais que vous m’avez vu vous regarder faire Tarzan sur votre balcon, je suis désolée si cela vous a importuné, j’étais curieuse de savoir d’où provenait le cri. Je suis ici depuis peu et pas encore habituée contrairement aux autres résidents. »
Ce message lui parut le mieux qu’elle put écrire et elle l’envoya. Il fut lu assez vite mais aucune réponse n’arrivait. Elle attendit plusieurs minutes, le temps qu’il lui semblait utile pour écrire une réponse mais rien, pas de nouveau message en retour.
Clara se rendit alors sur son balcon pour observer vers là où habitait l’homme Tarzan. Ce n’était pas l’heure où il faisait régulièrement sa « prestation » et elle ne le vit pas. Son message ne demandait pas forcément de réponse mais, tout de même, elle s’était attendue à ce que le destinataire lui dise quelque chose dans le genre « Pas de soucis, cela ne me gêne pas, je suis habitué à ce qu’on me regarde faire depuis le temps.
Il aurait pu aussi répondre sur la raison qui l’avait poussé à lui communiquer son numéro de téléphone, comme par exemple pour lui expliquer pourquoi il le faisait, qu’il n’était pas fou ou bizarre.
Mais non rien. Bon, même s’il a lu mon message, il lui faut peut-être du temps pour rédiger le sien, pour bien expliquer ? Peut-être est-il occupé ? Tant pis, j’ai déjà passé trop de temps et j’ai bien envie de me replonger dans mon livre.
A peine eut-elle ouvert son livre que le bip caractéristique de son téléphone retentit, ce qui la fit sursauter. Zut, se dit-elle, moi qui allais me remettre à la lecture, il attendra. Clara lut ainsi pendant un long moment avant qu’un 2ème puis un 3ème bip ne la déconcentrent définitivement et lui fassent perdre le fil de ce qu’elle lisait. Elle reposa son livre et prit son téléphone en main ; le chiffre trois était maintenant affiché sur l’icône de l’application : autant de messages non lus.
Le premier message commençait par un émoticône, celle du bonhomme qui éclate de rire. Puis il était écrit : « Je suis désolé que vous m’ayez pris pour Tarzan, vous avez du vous inquiéter en pensant que c’était cet énergumène qui voulait entrer en contact avec vous ». Son interlocuteur n’était donc pas l’homme auquel elle avait pensé, mais alors qui ? Peut-être que les messages suivants allaient l’éclairer ?
Le deuxième message indiquait « Vous devez vous demander qui je suis. Je reconnais que la manière de vous contacter est inhabituelle mais vu la période actuelle, difficile de vous aborder en se promenant, je n’ai trouvé que ce moyen ». Clara fut très intriguée, pourquoi cet homme – le fait d’écrire désolé et non désolée indiquait bien qu’il s’agissait d’un homme – souhaitait il la contacter ? Qu’est ce qu’il pouvait bien lui vouloir ?
Le troisième message, beaucoup plus long, l’éclaira définitivement : il lui expliquait qu’il l’avait aperçue sur son balcon et reconnue car il était un client régulier de l’agence de location ou elle travaillait. Il avait été surpris de la voir car il ne savait pas qu’elle habitait là alors que lui y résidait depuis plusieurs années. Et comme il y connaissait peu de monde et qu’il lui semblait que le courant passait bien quand ils se voyaient à l’agence, il avait eu l’idée de la contacter. Il lui semblait important de communiquer pour supporter le confinement et il lui proposait de le faire par messagerie puisqu’ils se connaissaient déjà.
Clara savait maintenant ce qu’il en était et pourquoi elle avait reçu ce mot sous sa porte. D’un côté, elle était rassurée que cela ne soit pas l’homme Tarzan et d’un autre côté, elle n’arrivait pas à voir précisément de qui il s’agissait. Elle voyait défiler pas mal de clients à l’agence, des sympathiques, des grognons, des pressés, des qui la prenaient de haut. Elle pouvait en écarter pas mal et se concentrer sur ceux avec lesquels elle avait un bon contact et qu’elle appréciait, il en restait tout de même environ quatre ou cinq alors lequel ?
Elle n’avait qu’à lui demander son nom, forcément, cela allait lui remettre en mémoire le visage de cet homme. C’est ce qu’elle fit et elle reçut une réponse un peu troublante, on aurait dit que son interlocuteur voulait jouer : « Je suis un peu déçu » lui répondit-il. « Avez-vous tant de clients avec lesquels vous communiquez comme nous le faisons tous les deux ? Je pensais vraiment que vous alliez tout de suite savoir de qui il s’agissait ».
Elle en resta quelque peu déroutée, il se prenait vraiment pour quelqu’un d’inoubliable. Elle fut déçue après le sentiment de soulagement qu’elle avait ressenti en apprenant qu’elle le connaissait. Elle commençait à se dire qu’elle allait pouvoir communiquer, échanger ses impressions, ce qui était important pour elle qui ne l’avait pas beaucoup fait depuis le début du confinement, et là, flûte, elle tombait sur un crâneur.
Comme s’il avait deviné ses pensées, il envoya aussitôt un autre message. « Excusez-moi, ma réponse a du vous paraître un peu prétentieuse, je voulais juste employer un ton humoristique, joueur. Je trouve que c’est important de jouer et encore plus en ce moment, le jeu provoque une sorte d’excitation qui est la bienvenue, je vous propose donc une devinette, cela vous convient ?».
Clara ne savait plus trop ce qu’elle devait penser : orgueilleux ? Suffisant ? Joueur ? S’il s’agissait d’un client qu’elle trouvait sympathique, il avait alors plusieurs facettes, car elle avait plutôt tendance à trouver antipathiques les clients suffisants. Joueur, elle aimait bien mais elle n’en voyait pas qui le soit dans l’immédiat.
Comme cela la distrayait et qu’elle avait grand besoin de communiquer, elle n’allait quand même refuser. Et puis, elle était curieuse de savoir à qui elle avait affaire alors, s’il fallait en passer par là, pourquoi pas ; elle répondit donc qu’elle était Ok.
Il lui indiqua comment il voyait ce petit jeu : elle devait faire des propositions lui permettant de deviner qui il était. S’il répondait par l’affirmative, elle avait alors le droit de poser une autre question. Dans le cas contraire, comme, bien qu’il sache de son côté qui elle était, il ne la connaissait malgré tout pas vraiment, il lui demandait de dévoiler quelque chose sur elle pour pouvoir poser une nouvelle question.
Clara ne s’attendant pas à devoir s’impliquer autant mais juste à poser des questions, elle fut quelque peu surprise. D’autant que l’expression « Dévoiler quelque chose sur elle », même si elle paraissait anodine, pouvait être interprétée dans deux sens différents. Non, se dit-elle, il ne l’entend tout de même pas dans le sens auquel je pense ! Ou alors il a un sacré aplomb.
Clara ne souhaitait plus se poser mille questions, elle avait entamé le dialogue, il fallait continuer. Il serait toujours temps d’arrêter si cela allait dans une direction qu’elle ne souhaitait pas. Elle réfléchit à la 1ère proposition qu’elle allait formuler pour l’aider à faire le tri dans les quelques personnes qu’elle avait en tête. Elle envoya « Avez-vous plus de quarante ans ? » : il y avait en effet trois personnes de moins de quarante ans et deux de plus dans sa liste.
La réponse fut rapide, c’était un « Non ». Cela partait mal, sa première proposition n’était pas bonne ; au moins, cela éliminait deux personnes, il n’en restait plus que trois. Bien, mais pour pouvoir poser une autre question, elle allait devoir dévoiler quelque chose sur elle. Il lui fallut réfléchir un petit moment : non qu’elle n’ait rien à dire, mais il y en avait justement beaucoup, à dire. Son correspondant ne la connaissait que très peu, lors d’échanges relativement banals, que choisir qui ne soit pas trop engageant ?
Elle choisit de confier qu’elle n’était pas mariée, qu’elle n’avait pas d’enfants mais sans préciser toutefois si elle avait un petit ami, ne pas tout dire d’un coup tout de même. Sans attendre et en supposant que ce qu’elle avait dévoilé devait être satisfaisant, elle formula dans la foulée sa deuxième proposition. Selon la réponse, elle pouvait trouver tout de suite de qui il s’agissait car un seul avait cette caractéristique et sinon, il n’en restait plus que deux. « Portez-vous des lunettes ? ». Cette fois, elle attendit la réponse un peu plus longtemps.
Le « Oui » qu’elle reçut signifiait la fin du petit jeu. Elle en était soulagée, non seulement, elle savait maintenant qui il était, mais elle n’allait plus avoir à se creuser la tête pour de nouvelles choses à dévoiler, leurs échanges allaient maintenant pouvoir se poursuivre de manière plus intéressante que de deviner qui on était ! Il y avait plein à raconter en cette période si particulière, chacun la vivait différemment et toute expérience différente de la sienne serait enrichissante.
C’était du moins ce qu’elle croyait !
A suivre …