Après cet échange sous la forme d’un petit jeu, Clara était maintenant certaine d’avoir trouvé qui était son interlocuteur. Avec les questions qu’elle avait posées et les réponses obtenues, il n’y en avait plus qu’un possible, du moins si sa liste de départ était la bonne : il s’agissait de Patrick Moulux.
Mis à part son nom, elle ne savait pas grand-chose de lui, si ce n’est qu’il venait régulièrement louer une voiture pour le week-end, environ deux fois par mois. Elle ne connaissait pas sa destination, tout juste le nombre de kilomètres qu’il faisait car elle le notait à son retour : environ 230 kilomètres, c’était très régulier. Elle n’avait pas fait très attention à son adresse sinon elle aurait vu qu’il habitait près de chez elle. « Je crois avoir deviné qui vous êtes, je pense que vous êtes Patrick Moulux, le client régulier du week-end » envoya-t-elle comme nouveau message.
« Bravo, vous avez trouvé assez vite. Oui, c’est bien moi. Dommage, j’aurais bien aimé jouer encore un peu car je n’ai finalement pas appris grand-chose de vous. Mais si vous êtes d’accord, je vous propose de poursuivre nos échanges les prochains jours. Pour l’heure, je dois vous laisser, allez sur votre balcon et regardez à trois heures ».
Elle se dirigea vers son balcon et regarda dans la direction indiquée, elle n’aimait pas trop cette manière de nommer les directions avec une référence à une heure mais il fallait reconnaître qu’elle avait le mérite de bien situer les choses. Et effectivement, elle n’y avait pas fait attention jusqu’ à présent mais elle pouvait voir assez nettement la personne qui lui faisait signe depuis un grand balcon situé là où il l’avait indiqué.
Elle le reconnut immédiatement, pas surprenant que lui ait pu la reconnaître également. Elle se demandait simplement comment elle avait pu ne pas le voir lors de ses observations précédentes mais bon, pas grave. Elle lui rendit son salut puis lui fit signe Ok avec son pouce pour indiquer qu’elle avait bien reçu le message et compris que l’échange était terminé pour aujourd’hui.
Sa soirée fut tranquille, comme habituellement. Il n’y avait rien de passionnant à la télé et après une séance de zapping, elle alla se coucher relativement tôt. Contrairement à son habitude, elle eut du mal à s’endormir, elle pensait à cet échange et à ceux qui allaient suivre. Qu’allaient-ils se raconter ?
C’était une chose que d’échanger quelques mots quand ils se voyaient à l’agence mais c’en était une autre de discuter par messagerie. Cet événement nouveau dans sa vie de confinée l’avait cependant quelque peu excitée et elle se dit qu’il fallait essayer. Allez, reste zen ma Clara, se dit-elle, tu verras bien et si ça ne va pas, tu pourras toujours couper court poliment.
Le lendemain matin, elle se demanda si elle devait prendre contact en premier ou si elle allait attendre qu’il le fasse. Elle décida de le laisser venir et se plongea dans la lecture de son livre qu’elle n’avait toujours pas terminé, elle avait hâte de connaître le dénouement. Le premier message du jour arriva alors qu’elle terminait juste la dernière page, quelle synchronisation.
Patrick lui souhaitait bonjour et elle lui répondit en lui demandant comment il allait. Après un échange bien banal avec le traditionnel « ça va et vous ? » puis des affirmations un peu bateau sur le confinement et ses inconvénients, il allait bien falloir explorer d’autres sujets s’ils voulaient poursuivre leurs échanges ; elle se lança sur le sujet qui les reliait, à savoir la location régulière de voitures qu’il faisait les weekends.
« Je suppose que cela doit être gênant pour vous de ne plus pouvoir louer de voiture, j’espère que cela ne vous pénalise pas trop ». Elle ne souhaitait pas particulièrement en savoir plus sur ces escapades régulières, elle l’avait dit par empathie. Ceci dit, s’il répondait en lui expliquant où il allait et ce qu’il faisait, ma foi, elle n’en serait pas dérangée et pourrait satisfaire la curiosité qu’elle avait déjà éprouvée plusieurs fois à ce propos.
Il répondit en restant très évasif, d’une manière qui ne lui paraissait pas franchement naturelle ; il changea rapidement de sujet en lui demandant si elle avait de nouveau observé l’homme Tarzan qui poussait des cris.
Elle l’avait complètement oublié celui-là, depuis son contact avec Patrick. « Ah non », lui répondit-elle, « Je n’y pensais même plus. Et d’ailleurs, je n’ai plus entendu de cris depuis quelques jours et vous ? ».
« Non plus, rien entendu. Vous croyez qu’il lui est arrivé quelque chose ? On ne sait jamais ».
« Je ne sais pas, j’espère que non, il est original mais pas méchant ». Cet échange lui parut soudainement banal, ennuyeux même. J’espère qu’on va trouver d’autres choses à se raconter sinon parler des voisins ne va pas nous mener bien loin pensa-t-elle. En plus, il n’avait pas satisfait sa curiosité au sujet de ses escapades du week-end donc cela éliminait de facto un sujet qui lui, pouvait se révéler intéressant.
Clara n’avait pas dit son dernier mot et comptait bien revenir à la charge, mais le faire directement semblait assez inapproprié, il fallait attendre un peu. Elle se mit donc à lui parler de ses week-ends à elle, une façon détournée de revenir sur le sujet. Elle lui dit qu’elle aimait se promener en forêt, souvent seule ainsi que faire des petites randonnées à la journée avec repas le midi en ferme auberge par exemple.
Patrick ne rebondit pas sur le sujet et chercha à savoir si elle avait des ami(e)s et si elle sortait souvent au restaurant par exemple ou au cinéma. Il lui fit d’ailleurs part de ses goûts en matière de cinéma et comme elle y allait assez souvent, ils purent échanger sur les derniers films qu’ils avaient vus. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’avaient absolument pas les mêmes goûts : il aimait les films d’action et elle plutôt les comédies bien françaises.
Ces échanges commençaient à être intéressants et cela permettait de rompre ce sentiment de solitude qui s’était développé depuis le début du confinement. L’inconvénient, c’est que c’était tout de même assez fastidieux d’écrire sur le petit clavier du téléphone et Clara ressentait des débuts de crampes dans les doigts à force de se crisper pour écrire correctement. Elle en informa Patrick qui lui dit qu’il ressentait à peu près la même chose et ils furent tous les deux d’accord pour en rester là aujourd’hui en se promettant de reprendre contact le lendemain.
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Depuis qu’il l’avait aperçue sur son balcon, il ne pensait qu’à elle. Il n’arrivait pas à détacher ses pensées de cette femme, surtout depuis qu’il avait pu établir le contact. Les échanges qu’ils avaient eus, même brefs l’avait encore plus attiré mais ils ne lui suffisaient plus et il se demandait maintenant comment il allait bien pouvoir la rencontrer réellement. Cela n’était déjà pas facile en temps normal pour lui d’aborder une femme alors en cette période de confinement, cela devenait carrément un parcours du combattant. En attendant, ils pouvaient toujours continuer à échanger comme ils l’avaient fait.
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Clara s’éveilla avec un sentiment étrange. Elle ne savait pas quelle en était la cause, mais elle pressentait comme un danger, une menace invisible qui planait sur elle. Lorsque le concierge sonna comme à son habitude pour prendre des nouvelles, elle resta très sobre dans ses réponses et à la limite de la politesse. Cela l’embêta car le pauvre n’y était pour rien et c’était déjà gentil de sa part de s’enquérir du bien-être des occupants.
Le premier contact avec Patrick tardait à venir. Elle n’avait pas envie de faire le premier pas ce matin et attendait qu’il la contacte ; il l’avait fait la veille donc elle supposait que ce serait la même chose aujourd’hui. Au lieu du bip habituel indiquant l’arrivée d’un message, ce fut une sonnerie inconnue de son téléphone qui la fit sursauter.
En prenant l’appareil en main, elle vit qu’il s’agissait de l’application de messagerie qu’elle utilisait avec Patrick, sauf que cette fois c’était un appel et non un message. Clara hésita mais le numéro de Patrick qui s’était affiché la convainc que c’était bien lui qui appelait et elle glissa l’icône du téléphone vert vers le haut pour répondre. Le visage de Patrick s’afficha en même temps qu’une petite fenêtre en haut à droite où elle pouvait se voir.
Patrick souriait, visiblement content de la surprise qu’il venait de faire : « Bonjour, comme hier nous avions presque des crampes à force d’écrire les messages, je me suis dit que ce serait plus simple de s’appeler et tant qu’à faire, autant se voir en même temps. J’espère que cela ne vous dérange pas ? ».
Clara n’avait pas vraiment eu le temps de réaliser, elle avait répondu sans se rendre compte qu’il s’agissait d’un appel vidéo et que Patrick pouvait la voir. Elle réalisa soudain qu’elle ne s’était pas encore maquillée ni habillée. « Euh » bredouilla-t-elle, « Bonjour, désolée mais je suis un peu surprise, vous auriez dû me prévenir pour la vidéo, je n’ai pas encore pris le temps de m’habiller, je suis gênée ».
Patrick, tout content de sa surprise du début, se rendit compte qu’il avait peut-être fait une bourde en ne la prévenant pas ; il avait eu cette idée afin de faciliter leurs échanges mais sans penser qu’elle pouvait être gênée ou bien même pas d’accord du tout pour un appel vidéo. « Non, c’est moi qui suis désolé, j’aurais effectivement du vous demander avant. Je vous propose que ce soit vous qui me recontactiez plus tard quand vous estimerez être visible ». Elle acquiesça et raccrocha.
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Le contact de ce matin ne s’était pas déroulé comme il l’avait imaginé. Il l’avait trouvée distante, pas disposée à discuter et cela l’avait profondément peiné. Il fallait qu’il imagine une autre stratégie pour l’inciter à s’intéresser un peu plus à lui ; il avait déjà son idée.
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Clara prit tout son temps pour se préparer. Pourquoi se dépêcher ? Patrick n’allait pas s’envoler et elle avait toute la matinée, voir la journée pour appeler. Après l’effet de surprise initial, elle avait finalement réfléchi que c’était une bonne idée cet appel vidéo. Ils se connaissaient déjà de vue, pas de mauvaise surprise de ce côté-là. Patrick était en plus un homme agréable à regarder, elle ne doutait pas que cela puisse être sympathique et, bien sur, plus facile pour approfondir leurs discussions que des messages fastidieux à composer.
Lorsqu’elle se sentit prête – elle avait soigné sa tenue, chose relativement rare depuis le début du confinement- elle l’appela. Comme elle l’avait pensé, ils purent discuter de manière plus approfondie sur divers sujets et même échanger sur les aspects positifs et négatifs de leurs appartements successifs. L’agencement était différent et la vidéo leur permit à tous les deux d’avoir un aperçu de ce qu’était le logement de l’autre. Heureusement, elle avait rangé la veille et fait du ménage, cela ne la dérangea donc pas du tout. Elle put voir que Patrick était un homme très organisé et que son chez lui était impeccablement organisé et rangé.
Ils abordèrent leur vie de confinés, la solitude qui y était associée et Clara lui raconta les visites régulières du concierge auprès des occupants de l’immeuble. Il fut un peu surpris car dans son immeuble à lui, il n’y avait pas de concierge. Décidément, au sein de la même résidence, il semblait y avoir des différences autres que celles de la disposition des appartements, cela leur parut tout de même étonnant mais, sans élément de réponse, le sujet fut clos.
Avant de raccrocher, Patrick tint à s’excuser encore pour l’appel impromptu de ce matin et, comme il avait cru comprendre qu’elle était curieuse de connaître sa destination lorsqu’il venait à l’agence louer une voiture, il lui promit de lui fournir des indices le lendemain. Elle n’avait en effet pas pu s’empêcher d’y refaire une allusion et elle eut beau lui dire que non, il ne devait pas s’y sentir obligé, que cela ne la regardait pas, il sourit et lui dit que cela ne l’embêtait pas le moins du monde si ce n’est que cela pouvait la surprendre.
A suivre ….