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Il avait maintenant une idée pour avoir avec Clara un échange plus important que ce qu’il avait eu jusqu’à présent ; peut-être même pourrait-il la voir de plus près. Comme à son habitude, il entra dans son immeuble par la porte du sous-sol. Il s’agissait d’une porte double qui pouvait s’ouvrir en tirant d’un petit coup sec depuis le haut : le loquet de la deuxième partie de la porte devait être mal enclenché et cela permettait d’ouvrir les deux battants en même temps, la serrure se désengageant alors très facilement. On pouvait également refermer sans aucune trace. Son paquet sous le bras, il monta les escaliers puis s’arrêta devant la porte de Clara et sonna comme à son habitude.

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Patrick était perplexe depuis la veille après que Clara lui ait parlé du concierge, il était allé à toutes les réunions de copropriétaires mais jamais il n’avait entendu parler d’un concierge, dans un aucun immeuble de la résidence. Comme Clara lui avait indiqué l’heure approximative à laquelle le concierge sonnait pour prendre des nouvelles, il décidé de guetter. Il ne savait pas très bien ce qu’il pourrait voir mais bon, cela l’occupait il était réellement intrigué par cette histoire.

 

Bien sur, s’il y avait un concierge, il logeait dans l’immeuble et le fait de guetter ne lui permettrait pas de le voir, mais bon, il n’avait pour le moment pas d’autre idée. Il pensa à demander à Clara de le prévenir lorsque ce dernier sonnerait mais se dit que ce serait la prochaine étape, si cela ne donnait rien aujourd’hui.

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Clara venait de terminer de se préparer lorsque le coup de sonnette maintenant devenu habituel se fit entendre dans son appartement. Comme habituellement, c’était le concierge qui entamait la conversation en lui demandant si tout allait bien, elle attendit. Mais cette fois, rien, pas de question. Ne serait-ce pas le concierge ? Mais dans ce cas, de qui pouvait-il s’agir ? En plein confinement, personne n’était censé venir sonner chez elle.

 

Elle se dirigea vers la porte quand la voix désormais bien connue se fit entendre « Bonjour Clara, j’ai un paquet pour vous ».  Tout d’abord, elle fut surprise qu’il l’appelle par son prénom, il ne l’avait pas encore fait alors qu’il passait depuis quelque temps déjà alors pourquoi cette fois ? Pourquoi cette familiarité soudaine ? Elle pensait pourtant avoir conservé ses distances lors de leurs échanges précédents à travers la porte. Et le fait qu’il puisse avoir un colis pour elle la déroutait encore plus ; en général, les colis étaient déposés par le facteur dans une boîte commune dans le hall, à charge pour chacun de regarder s’il y en avait pour lui.

 

Mais bon, à époque inhabituelle, pourquoi pas des comportements inhabituels. Elle allait ouvrir lorsqu’elle pensa à regarder au travers du judas. Elle n’avait pas encore eu l’idée de le faire ne serait-ce que pour voir la tête qu’avait ce concierge qu’elle ne connaissait pas, enfin pas de vue. Aujourd’hui, du fait des bizarreries qui accompagnaient sa visite régulière, elle se dit que c’était peut-être le moment.

 

Clara se figea à la vue de la personne qui se trouvait de l’autre côté de la porte. Celui qui prétendait être son concierge était en fait l’homme Tarzan ! Se pouvait-il que ce soit lui le concierge ? Elle y pensa fugitivement mais rapidement, elle se dit que non, c’était tout simplement impossible. Tout d’abord il n’aurait pas habité dans un autre immeuble et puis elle se souvenait avoir parlé de l’homme Tarzan au concierge. Mais alors, qu’est ce que cela signifiait ? Cet homme qui l’avait regardé quand elle l’observait avait poussé l’audace jusqu’à se faire passer pour son concierge afin de pouvoir communiquer avec elle ? Et maintenant, il franchissait une étape en essayant de lui faire ouvrir sa porte sous prétexte d’avoir un colis à lui remettre.

 

Elle ne savait pas quoi faire et commençait à paniquer. L’homme de l’autre côté de la porte insistait : « Clara, vous êtes là ? J’ai vu qu’il y avait un colis en bas alors je vous l’ai remonté ; pouvez-vous ouvrir pour que je vous le donne ? ». Elle essaya de se calmer et d’une voix qu’elle pensa assurée même si ça n’était pas tout à fait le cas, elle lui répondit qu’elle le remerciait et qu’elle préférait qu’il le dépose devant la porte, qu’elle le récupérerait après. Cela était parfaitement crédible avec la politique du confinement et cela lui évitait d’ouvrir la porte.

 

Tout occupé qu’il était à échafauder son stratagème, il n’avait pas pensé à ça, il avait totalement oublié le confinement et les précautions que les gens prenaient avec les colis ou autres objets provenant de l’extérieur.  Il insista cependant : « Vous êtes sure ? Cela nous permettrait de nous voir, on ne se connait pas et il n’y a pas de risque si on reste à distance ».

 

Il n’y avait rien à faire, Clara insista pour qu’il laisse le colis devant la porte, il allait falloir trouver autre chose. Il déposa donc le colis et se mit à descendre l’escalier. Il avait pris grand soin pour le préparer, un vrai «  faux » colis avec facture imitée d’un grand site marchand, emballage soigné, adresse imprimée comme sur les vrais, etc. Tout ce temps passé pour devoir finalement chercher un autre moyen lui permettant de la voir de plus près, de commencer à tisser un lien peut-être ? Il était tout à ses pensées quand il se rendit compte qu’il était en train de sortir de l’immeuble par la porte principale. D’ordinaire il sortait par là où il était entré ; un concierge étant censé habiter l’immeuble, il était en effet bizarre qu’il reparte en sortant de celui-ci. Tant pis, il n’y avait personne dehors et après tout, il pouvait très bien avoir quelque chose à faire ailleurs.

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Clara avait vu l’homme repartir en descendant l’escalier, il ne sonnait pas chez les voisins de palier et ne montait pas aux étages supérieurs. Aucun doute, il ne venait que pour elle et cette pensée l’effraya encore plus. Il avait eu l’air inoffensif cet homme lorsqu’elle l’avait vu faire Tarzan, elle l’avait vu comme un illuminé. Maintenant, après avoir démasqué sa ruse pour s’approcher d’elle, cela n’était plus du tout le cas et elle le voyait au contraire comme une menace. Elle décida d’appeler Patrick, elle ne voyait que lui à qui elle pouvait se confier.

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Patrick n’avait toujours rien vu d’anormal. Cela faisait quelque temps qu’il guettait mais personne en vue, pas de mouvements suspects. Il allait rentrer dans son appartement pour envoyer un message à Clara lui demandant si le concierge était passé lorsqu’il le vit : un homme sortait de son immeuble à elle et cet homme, il le connaissait. Comme elle lui avait parlé lors de leurs conversations du fait que l’homme l’avait regardée, il comprit rapidement que c’était probablement lui qui, se faisant passer pour le concierge, allait sonner chez Clara. Il allait l’appeler quand son téléphone sonna, c’était elle.

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Patrick trouva Clara assez perturbée. Elle lui raconta ce qui s’était passé, l’histoire du colis, le fait que le soi disant concierge était en fait l’homme Tarzan, son insistance pour qu’il ouvre afin qu’ils se voient, … Il eut bien du mal à prendre la parole. Lorsqu’elle l’écouta et comprit qu’il la croyait car il avait vu l’homme sortir de son immeuble, elle se calma.

« Je vais m’en occuper » dit Patrick. « Ne te soucie de rien, il ne t’importunera plus ».

 

Elle nota l’usage du tutoiement, mais ne s’en offusqua pas. C’est vrai qu’avec cette histoire, ils étaient devenus soudainement plus proches. « Que vas-tu faire ? » demanda-t-elle, le tutoyant à son tour.

 

« Je vais lui faire une bonne peur une fois pour toutes, cela lui passera l’envie de venir t’embêter. Mais ne t’inquiète pas, je ne suis pas quelqu’un de violent, il faut juste qu’il comprenne qu’il doit arrêter ».

 

Elle ne savait quoi penser. Que pouvait donc bien faire Patrick pour arrêter l’homme Tarzan ? Elle ne le connaissait pas tant que ça après tout. Elle décida de lui faire confiance, n’ayant de toute manière, pas vraiment d’autre alternative. Mais cela n’allait-il pas la rendre redevable vis-à-vis de lui ? Toute cette histoire était tout de même très perturbante et elle s’en serait volontiers passée.

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Après être renté chez lui sans avoir pu voir Clara, il n’avait pas eu à cœur de refaire son exercice de Tarzan sur le balcon, il fallait qu’il trouve un autre moyen pour la voir. Il y réfléchissait quand il s’aperçut qu’un papier avait été glissé sous sa porte. Lorsqu’il le lut, son visage devint blême et il dut s’asseoir pour ne pas partir à la renverse. Quelqu’un était visiblement au courant de l’intérêt qu’il portait à Clara et le menaçait s’il n’arrêtait pas tout de suite de la harceler. Les menaces n’étaient pas directes non bien sur mais elles étaient bel et bien présentes.

 

La personne disait d’abord qu’il était ami avec Clara et qu’il veillait à son bien-être pendant le confinement. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il s’était aperçu du fait qu’il se faisait passer pour le concierge afin de l’approcher. Il faisait également allusion à des sorties que lui faisait sans attestation ni motifs valables. Comment cette personne pouvait-elle être au courant ? Il réalisa qu’il était observé à son tour, épié et que ses faits et gestes ne passaient pas inaperçus. Il ne devait absolument pas attirer l’attention sur lui en ce moment et il décida de faire profil bas pendant quelque temps. Tant pis pour Clara, sa propre sécurité passait avant tout.

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Les jours suivants, Clara et Patrick poursuivirent leurs appels vidéo comme si de rien n’était en abordant toutes sortes de sujets. Ils parlaient voyage, politique du gouvernement pendant la crise, lecture, cinéma, même si leurs goûts respectifs étaient assez éloignés en la matière. Clara avait bien essayé d’en savoir plus à propos de l’homme Tarzan et de ce que Patrick avait bien pu faire pour que le soi-disant concierge ne vienne plus sonner à sa porte –  cela faisait en effet plusieurs jours qu’il n’était pas venu – mais Patrick était encore une fois resté très évasif.

 

Quant à la promesse de Patrick de lui fournir des indices sur ce qu’il pouvait bien faire quand il louait une voiture certains weekends, il l’avait certes tenue mais elle était toujours incapable de savoir de quoi il s’agissait. Il lui avait dit tout à tour faire un travail de recherche, faire de l’exercice, enquêter, observer, …  Elle allait devoir lui poser la question directement. Oui, demain, elle se le jura, elle allait lui demander.

 

Le soir même, lors du journal télévisé, rien de bien nouveau. Le confinement allait encore durer quelque temps, il fallait que chacun continue d’être vigilant, discipliné, … le blabla habituel. Elle alla se coucher en étant un peu déprimée et se dit que demain serait un meilleur jour, il fallait bien positiver.

 

La sonnerie de son réveil la fit sursauter et à moitié endormie, elle retrouva un réflexe qu’elle n’avait pas utilisé depuis longtemps : elle pressa le bouton qui permettait de relancer la sonnerie 9 minutes plus tard puis se rendormit. Avant la fin des 9 minutes, cependant, elle fut de nouveau réveillée ; elle n’avait pas réalisé tout à l’heure mais son réveil n’était pas censé sonner, elle ne l’avait plus activé depuis le début du confinement, plus besoin. Sans doute s’était-il déréglé suite à une coupure de courant pendant la nuit ? Ou bien est-ce qu’elle l’avait machinalement activé hier soir ? Mais dans ce cas, pourquoi spécialement hier soir alors qu’elle ne le faisait plus ? Etrange mais bon, son esprit était encore trop embrumé pour y réfléchir et elle replongea.

 

Cette fois ce fut la sonnerie du téléphone qui la réveilla de nouveau. Elle trouvait que c’était tôt pour l’appeler et elle s’apprêtait à répondre quand elle vit que l’appel provenait de son employeur. Tiens, y aurait-il du nouveau ? Mais pourquoi appeler si tôt, cela pouvait bien attendre plus tard dans la journée pour l’informer d’un quelconque changement.

 

Après avoir décroché, elle reconnut la voix de son patron. Elle ne l’avait plus entendue depuis plusieurs semaines mais c’était bien lui et il n’avait pas l’air content. Il lui demandait ce qu’elle faisait, elle était en retard et les clients attendaient. Etait-elle malade ? Elle aurait du prévenir si c’était le cas.

 

Aurait-elle loupé quelque chose ? Le confinement était-il terminé et elle aurait loupé la date ? Impossible. Sa confusion s’amplifia quand son patron lui dit que pourtant elle avait l’air en forme les derniers jours, qu’il ne comprenait pas pourquoi elle avait pu tomber malade si soudainement enfin, si toutefois c’était la raison de son absence. Elle lui dit que non, elle n’était pas malade et elle s’apprêtait à lui confier ses doutes quand il lui dit de se dépêcher, qu’ils s’expliqueraient quand elle serait arrivée à l’agence et il raccrocha.

 

Clara était désemparée, elle ne savait plus du tout ce qui se passait. Elle regarda dehors et il y régnait une agitation normale, enfin pas la manque d’agitation de la période de confinement non, l’agitation normale de la période normale. Prise d’un doute, elle alluma la télé sur une chaîne d’information continue : rien ! On ne parlait absolument pas de confinement. Les sujets étaient sensiblement les mêmes qu’avant et les journalistes se comportaient de manière habituelle, proches les uns des autres, présents sur les plateaux et pas en vidéo conférence depuis chez eux. Bref, tout semblait indiqué que le confinement était terminé.

 

Terminé … ou plutôt qu’il n’avait jamais existé ! C’est cette pensée qui dominait maintenant dans l’esprit de Clara. Elle en était certaine à présent, elle avait rêvé et tout ce qu’elle avait imaginé : le confinement, l’homme Tarzan, ses échanges avec Patrick, … Tout cela n’était bel et bien pas arrivé !

 

Elle se rendit sur son balcon et regarda en direction du balcon de l’homme Tarzan ; ce qu’elle y vit la conforta dans ce sentiment : un couple de personnes âgées se prélassait dans des transats. Du côté du balcon de Patrick, en revanche, personne. Mais elle en était sure, il n’habitait pas la non plus, pas plus que l’homme Tarzan, tout cela avait germé dans son imagination et provoqué le plus gros rêve dont elle se souvienne ; enfin plutôt mi-rêve mi cauchemar.

 

Un peu déboussolée mais soulagée, elle se dépêcha de se préparer pour aller travailler. Elle allait se prendre un savon de la part de son patron, mais elle n’était pas trop inquiète, elle trouverait bien une excuse et ce serait oublié dans quelques jours. Il n’était pas rancunier et avait trop besoin d’elle pour ne pas lui pardonner une erreur de temps en temps.

 

Le weekend qui suivit sa « reprise » du travail, Patrick ne se manifesta pas. Pas plus que le suivant, il fallut attendre encore deux weekends pour qu’il revienne à l’agence. Cela lui fit drôle de le revoir, elle se rappelait parfaitement leurs échanges dans son rêve et elle se disait qu’avec un peu plus de temps, ils se seraient certainement rapprochés encore plus. Oui, ils accrochaient bien et elle ne doutait pas que ce rêve pouvait bien finir pour elle et pour lui, d’abord par des échanges vidéo plus intimes puis, une fois le confinement terminé, de manière plus concrète chez l’un ou chez l’autre. Elle sourit à cette évocation et Patrick en fut surpris avant de lui rendre son sourire, comme s’il avait lu dans ses pensées ; cela la fit rougir.

 

De retour chez elle le soir, elle y pensait encore quand elle découvrit un papier glissé sous sa porte. Elle l’ouvrit et ce qu’elle lut la laissa littéralement bouche bée : il y était noté un numéro de téléphone suivi de « message WA » !

 

Fin