Cela faisait plusieurs jours qu’il croisait cette belle inconnue en allant se promener. Il ne l’avait jamais vue auparavant dans son quartier et là, depuis le début de cette période de confinement, il la croisait systématiquement à chacune de ses sorties. Elles n’étaient pas bien longues pourtant ses sorties : elles se limitaient a un tour de son pâté de maison d’une vingtaine de minutes afin de respecter le plus possible les consignes des autorités.
C’était comme une fatalité, il croisait systématiquement la route de cette femme. Certes, les horaires de ses promenades ne variaient pas énormément, mais tout de même, elles n’étaient pas à heure fixe. Au bout de quelques jours, il se demanda même si elle ne le guettait pas pour sortir en même temps que lui.
Ce qui était bizarre, c’est qu’elle arrivait toujours en sens inverse et de manière imprévisible, jamais au même endroit. Au détour d’une rue, elle apparaissait en face, sur l’autre trottoir. Et comme son chemin variait à chaque fois, cela était tout de même très étonnant. Ils passaient l’un à côté de l’autre sans que jamais elle n’ait un regard vers lui. Elle fixait la route, droit devant elle sans détourner la tête, même lorsque, au bout de plusieurs fois, il se mit à risquer un timide bonjour à son encontre.
Il hésitait à lui parler, pour échanger quelques mots, sur la situation, le fait qu’ils se croisaient à chaque fois, sur tout et rien. Après tout, quel risque y avait-il à se parler d’un côté à l’autre de la rue ? Il ne voulait pas la mettre mal à l’aise, qu’elle craigne qu’il ne s’approche. Alors, il continuait son chemin et rentrait chez lui un peu déboussolé en se disant que la prochaine fois il oserait.
Les journées passèrent, puis les semaines. Le confinement perdurait et tout le monde se demandait si on en verrait le bout un jour. Et chaque fois, à chaque sortie, le même scénario se reproduisait sans qu’il ne fasse autre chose que lancer un timide bonjour qui restait invariablement sans réponse.
Il n’en pouvait plus, il fallait qu’il lui parle, qu’il sache qui elle était et pourquoi il ne l’avait jamais vue dans son quartier, il décida de la suivre la prochaine fois. Et, chose dite, après l’avoir croisée une nouvelle fois, il attendit un peu puis fit demi-tour. Le reste de la sortie dura encore quelque temps. A un moment même, un policier en voiture s’arrêta à côté d’elle et de ce qu’il pouvait voir, contrôla son attestation. Visiblement, elle était en règle puisque il repartit rapidement. Comme il était assez loin derrière, le policier ne le vit pas et il ne fut pas contrôlé. De toute façon, il était en règle et ne risquait rien sauf de la perdre de vue si cela avait duré un peu trop longtemps.
Au bout d’environ 10 minutes, l’inconnue arriva en vue d’un groupe d’immeubles qu’il connaissait de vue et où il n’était jamais allé. Un chemin piéton serpentait entre les bâtiments, avec de multiples ramifications pour desservir chaque entrée. Il pressa le pas pour ne pas la perdre dans ce dédale et repérer vers quelle entrée elle se dirigeait. Peine perdue, tout d’un coup, au détour d’un virage, elle s’était volatilisée. Plusieurs entrées étaient desservies depuis cet endroit et il était impossible de savoir vers laquelle elle s’était dirigée.
Penaud, il rentra chez lui en se disant qu’il essaierait de nouveau de la suivre le lendemain et c’est ce qu’il fit. Mais cette fois, pas de chance, c’est lui qui se retrouva à être contrôlé par un policier juste en bas du groupe d’immeubles. Le temps de présenter son attestation et elle avait de nouveau disparu.
Le surlendemain, il ne se sentit pas bien et décida de ne pas sortir. Il ne faisait pas trop chaud, un vent froid soufflait et il ne voulait pas risquer d’attraper un rhume. Etait-ce le virus ? Ou autre chose ? De toute façon, sans symptômes graves, il lui fallait attendre et ne pas risquer un coup de froid. Cela dura quelques jours et au bout du compte, il se sentit suffisamment en forme pour sortir de nouveau.
A sa grande surprise, il ne croisa pas l’inconnue ce jour là, pas plus que le jour suivant. Il décida donc de se diriger vers le groupe d’immeubles pour, au cas où, voir si elle n’avait pas changé ses habitudes, le circuit de ses promenades. Là non plus, pas de belle inconnue pendant les quelques jours ou il attendit.
Le confinement se poursuivit encore quelques jours et la bonne nouvelle arriva enfin, il était de nouveau possible de sortir librement, de rencontrer des gens. Il retrouva alors son meilleur ami et ils purent échanger librement sur cette période et leurs occupations. Certes, ils s’étaient téléphoné plusieurs fois, mais ils n’avaient pas du aborder le sujet car ils découvrirent que tous les deux sortaient régulièrement se promener, à des heures et sur des circuits totalement différents. Ce qui explique que jamais ils ne s’étaient croisés pendant toute cette période.
Et c’est là que son ami lui rapporta une histoire étrangement similaire à la sienne. La description qu’il lui fit de l’inconnue le laissa perplexe car elle ressemblait en tous points à celle que lui avait croisée tous les jours pendant cette période. Il lui raconta à son tour et ils admirent tous les deux que cela n’était vraiment pas banal de croiser la même personne à des moments et sur des parcours aussi variés.
Afin d’essayer de revoir cette inconnue qui leur était maintenant commune, les deux amis se mirent à faire ensemble et pendant quelque temps, des promenades dans le quartier. Ils variaient les horaires, les circuits. Rien ne fit, ils ne virent plus la belle inconnue et elle resta dans leur mémoire comme un doux souvenir de cette période si particulière. A chaque fois qu’ils se voyaient, ils en parlaient et un surnom finit par apparaître pour parler d’elle, ils l’appelèrent