Jean était content, il allait enfin découvrir Varey. Il ne connaissait Lison que depuis quelques mois et il avait déjà découvert pas mal de choses sur sa famille et sa vie d’avant, mais aujourd’hui, il allait franchir une étape importante, elle l’emmenait dans la maison de vacances de sa famille. Ils avaient normalement prévu de fêter l’anniversaire de Jean avec des copains le samedi et d’y aller ensuite, mais la fête avait tourné court et ils allaient du coup, y passer tout le week-end de Pentecôte.
D’ordinaire, ce week-end là, la famille de David, le père de Lison, se réunissait dans un gîte de groupe, mais, cette année, la pandémie en avait décidé autrement. Ils allaient tout de même se réunir, mais en effectif réduit, juste la famille de David et celle de Bernard, son oncle, qui n’habitait pas loin.
La maison, achetée par ses grands parents maternels, se trouvait dans un petit village à la limite des deux départements. Sonia, la mère de Lison y avait plein de souvenirs d’enfance avec son frère Clément et cela avait continué pour Lison et ses frères ; Jean avait hâte de découvrir cet univers dont il avait tant entendu parler. Tom, le frère de Lison, était avec eux et ils arrivèrent sur place juste à l’heure de l’apéritif.
Jean se sentait bien avec cette famille, David pratiquait le même genre d’humour que lui et cela le mettait à l’aise. Bon, les femmes n’appréciaient pas toujours certaines blagues, mais elles savaient que l’alcool en était grandement responsable et elles ne leur en tenaient pas trop rigueur. Il avait découvert la maison et surtout le lieu, magique, en pleine campagne au bout du village et il s’était imprégné de cette ambiance, il se sentait bien.
A la fin du repas, quelqu’un, il ne sait plus très bien qui, émit une proposition à laquelle il ne comprit rien : et si on allait faire les japonais ! Au vu des réactions des uns et des autres, il comprit qu’il s’agissait d’une activité habituelle des rencontres à Varey. Devant son incompréhension, Clément entreprit de lui expliquer : il s’agissait d’aller faire une balade nocturne.
Pour ce qui était de la référence aux japonais, il apprit qu’elle était apparue la première fois lorsqu’ils prétendaient écrire en japonais sur la route en se soulageant après un repas bien arrosé. Par la suite, une balade nocturne mémorable qui avait eu lieu après la tempête de 1999, avait fait d’eux des kamikazes au vu du nombre d’arbres tombés en travers des chemins et qu’il fallait escalader. La référence aux japonais s’était de ce fait doublement imposée.
– C’est parti, enlevez vos montres, lunettes et pas de lampe, leur intima Clément qui avait pris la direction des opérations.
Les femmes ne se joignirent pas à eux, cela semblait habituel. Et quand, en plus, Sonia indiqua en rigolant qu’elle préparait la trousse à pharmacie, Jean commença vraiment à se demander dans quelle aventure il allait s’embarquer. Sans lampe, cela lui paraissait totalement fou d’aller se promener de nuit, mais soit, il suivait le mouvement et la curiosité l’emportait sur l’appréhension.
Il fut quelque peu rassuré par la présence de la lune qui éclairait relativement bien et qui leur permit de trouver facilement l’entrée du chemin, une fois les lumières du village disparues. Même sans cela, ils ne l’auraient de toute façon pas loupée car Clément connaissait parfaitement le coin et il menait sa petite troupe sans hésitation.
Après une dizaine de minutes sur un sentier creux et couvert, ils arrivèrent dans un sous-bois puis en bordure d’un champ de colza. L’éclairage de la lune donnait un aspect magique au paysage et il s’en émerveillait, il ne souvenait pas avoir déjà eu l’occasion de profiter d’un tel spectacle.
Clément entreprit de traverser le champ en le longeant par le côté ; il y avait un passage déjà tracé, ils n’allaient donc pas trop abîmer les plants. Même un peu ivres, ils étaient soucieux de respecter les cultures et de ne pas laisser trop de traces de leur passage. Après le champ de colza, ils arrivèrent sur un autre chemin et c’est à ce moment là que la sortie jusqu’à présent relativement tranquille, prit une tout autre tournure.
Tout d’un coup, il aperçut David et Bernard en train de s’empoigner pour se faire tomber et rouler dans le champ voisin. Ils s’efforçaient de mettre le plus d’herbe possible dans la bouche et le caleçon de l’autre. A ce petit jeu, Bernard avait l’air de prendre le dessus, il était probablement plus sobre que son frère.
Les autres semblaient habitués et attendaient patiemment. Seul Tom s’interposa en essayant de les séparer, ce qu’il parvint à faire non sans mal. David jura que Bernard ne perdait rien pour attendre, qu’il allait se venger. Tout en remontant le champ qui jouxtait le chemin, ils aperçurent un troupeau de vaches sous un bosquet d’arbres.
– Faites attention, la nuit elles peuvent charger, leur indiqua Clément.
– Des vaches, charger ? Plusieurs membres de la petite troupe s’en étonnèrent.
– Si, reprit Tom, la nuit elles voient des ombres et elles sont effrayées alors elles chargent ; d’ailleurs, les voilà, vite il faut se sauver.
Bien entendu, ce fut le moment que choisit David pour essayer de prendre sa revanche, il roula de nouveau à terre avec Bernard.
– Non, arrêtez, les vaches arrivent, il faut se sauver, cria Tom qui avait visiblement pris le pli de faire la police entre les deux.
La course pour sortir du champ ne fut pas très efficace et les vaches auraient eu tout le loisir de les rattraper et de les bousculer si elles n’avaient pas arrêté leur course rapidement. David se rendit alors compte que son T-shirt était déchiré et commença à se lamenter, il l’aimait bien. Foutu pour foutu, Tom s’amusa à le déchirer encore un peu plus.
Un peu plus loin, un franchissement de fossé fut l’occasion de quelques chutes et de beaucoup de rigolade avant qu’ils ne se retrouvent sur une route. Tout le monde sembla reconnaître où ils étaient ; Jean n’en avait aucune idée.
Clément s’engagea sur la route, pas pour longtemps. Au détour du prochain virage, ils prirent de nouveau un chemin qui, cette fois, s’enfonçait clairement dans les bois, réduisant la visibilité à pas grand-chose. Jean se demandait comment ils allaient faire pour s’orienter s’ils s’enfonçaient davantage sous les couverts, il était loin de se douter qu’il n’était pas au bout de ses peines.
Tout d’abord, tout se passa relativement bien, on pouvait encore distinguer le chemin et les quelques arbres qui se trouvaient en travers. Au fur et à mesure de leur avancée, l’obscurité se fit de plus en plus intense jusqu’à devenir totale ; ils se suivaient les uns les autres en se guidant au son des voix de Clément et de Tom qui semblaient être les seuls à y voir quelque chose.
S’ils étaient sur un chemin, alors le nombre d’arbres qui gisaient en travers était tout bonnement impressionnant, Jean pensait plutôt qu’ils étaient en train de couper en pleine forêt. Il fallait sans cesse escalader des arbres que l’on ne voyait pas, guidés par Clément et Tom qui attendaient pour aider à faire passer ceux qui étaient à la traîne ; il y avait des cris, des chutes, des jurons. La patience de Tom avec son père notamment était impressionnante, il l’attendait et le guidait systématiquement, ce qui n’était pas une mince affaire car David n’en faisait qu’à sa tête.
Bernard fermait la marche, il était en retrait dans la crainte d’une attaque de son frère, lequel ne paraissait pourtant pas trop en état de faire quelque chose, trop occupé à franchir les arbres sans tomber. Il eut toutefois un sursaut de combativité quand il leur fallut sortir d’un creux pour grimper sur un talus glissant, David lui lança de la terre avant de s’enfuir en montant. Bernard l’avait cependant repéré et à son tour, il lui envoya de la terre ; il se rendit compte qu’elle était mouillée et cela l’amusa encore plus.
– Salaud, c’est mouillé, tu m’envoies de l’eau, s’écria David tout en se baissant pour ramasser de quoi répondre.
Mais il avait mal jugé où se trouvait son frère et c’est Jean qui s’en prit plein la figure alors que Bernard riait de tout son saoul. Puis il monta le talus à son tour et se jeta sur David pour lui faire manger de la terre et des feuilles et en remplir son caleçon ; David n’était pas en état de se défendre et il jurait qu’il allait se venger.
La sortie du bois pouvait maintenant se voir et ils débouchèrent dans un pré juste au dessus de la maison. Une nouvelle empoignade des deux frères tourna court quand Tom leur signala qu’il y avait encore des vaches et qu’il fallait se dépêcher de partir ; il commençait à en avoir vraiment marre de les séparer.
Quand ils se furent posés sur la terrasse, il était tard, les infirmières potentielles étaient couchées, on verrait les dégâts plus tard. David se lamentait sur son beau T-shirt déchiré et plus encore, il craignait la réaction de Sonia le lendemain.
Le lendemain matin, Bernard était tout fier de leur montrer ses jambes éraflées, il l’avait vu lors de la douche prise avant de se coucher. David osa montrer son T-shirt à Sonia qui prit un air désabusé, habituée qu’elle semblait être à ce que son mari fasse les japonais sans une tenue adaptée. Elle n’eut à soigner personne, Jean n’aurait su dire si elle en était déçue ?
Dans la journée, un petit groupe fit le même tour que celui de la nuit et quand ils revinrent, leurs réactions étaient toutes les mêmes, à l’exemple de celle de Marie, la femme de Bernard :
– On a vu par où vous êtes passés, c’est plein de branches cassées et pointues sur les arbres, vous auriez pu vous blesser mille fois, c’est quasiment miraculeux qu’il ne soit rien arrivé, s’exclama-t-elle.
C’est vrai que c’était quelque chose, se dit Jean. Son impression fut confirmée quand il repassa à son tour aux mêmes endroits dans la forêt : ils avaient été fous de passer là en pleine nuit et même, d’escalader des arbres quand on pouvait passer en dessous, tout simplement ! Il en garderait dans tous les cas un excellent souvenir et si faire les japonais c’était être fou alors, tant pis, cela lui plaisait bien.